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Je me sens tellement conne. Je mange, même un peu, puis j'ai envie de vomir. C'est atroce. J'en peux plus. Pas le fait de vouloir vomir mais le fait de ne pas résister. C'est impossible. Je me sens tellement laide, je suis tellement grosse... C'est à péter un câble, je vous assure. Dans l'avion pour aller au Viet Nam, je me suis fait une petite étoile, sur la main, à coup de mégot brûlé en lame. Je l'ai faite à coté des cicatrices qu'il me reste d'il y a une semaine, la fois où je me suis pincée, dans la rue, à défaut d'objet blessant. Bon, je suis tellement pas douée que mon étoile, on voit pas que c'en est une. C'est pas grave. Mais mon ventre... Si vous le voyez... Tuez moi, bordel. Il est tellement gras, il déborde de partout. Mes cuisses, j'en parle même pas. Mes bras, même eux sot gras à souhait. Et pourtant, impossible d'arrêter de manger. J'ai constamment faim, ici. C'est atroce. J'en pleure. Je fume, parfois. Ca me donne moins envie de vomir. Mais ici, je peux pas. Ma mère est tout le temps avec moi. Mais j'en peux plus. Aidez moi, faites moi sortir de ce corps. Je le maîtrise à peine, je suis plus maladroite tu meurs. Mais il me fait péter un plomb.

I'm the third.

Je suis sûre que toi aussi, tu ressens ça. Ce moment où ton idole, du bout des doigts, relève ta tête, bascule tes épaules en arrière, te redessine ton sourire. Je suis sûre que sa voix te murmure de pleurer si le coeur t'en dit mais de ne rien laisser paraître devant les autres. En fait, elle te dit d'être forte. Elle te dit que tu l'es, même. T'as beau la contredire, elle te donne de la force. Et même si tu allais mal, elle est capable de te faire sourire. C'est fou ce que tu l'aimes. 

Voilà. Il est arrivé, le jour tant adoré des parents, même des enfants. Je parle bien sûr du jour du spectacle de danse. Le jour où chaque enfant dévoile fièrement ce qu'il a acquis cette année. Où les profs stressent autant que nous, surveillent le moindre de nos mouvements, nous disent constamment de ralentir.

Mais c'est le jour où moi j'affronte mon pire ennemi, à l'image d'un enfant qui combat le monstre qui se cache sous son lit. J'affronte le public.

La représentation de fin d'année, c'est le jour où n'importe qui peut me voir me rater, tomber (oui oui, je suis déjà tombée sur scène) mais peut me voir en retard sur les autres, ou même pleurer sur scène. La représentation de fin d'année, c'est mon corps mis en scène. C'est devoir assumer aux yeux de tout le monde qui je suis physiquement. Et je suis pas quelqu'un de beau, je suis pas quelqu'un de gracieux. Je le sais. 

Cette année, le public comprendra quelques élèves de mon bahut. Encore mieux.

Voilà, je dois filer. A plus.

Aujourd'hui, j'ai regardé les montages vidéos d'une fille qui est à mes yeux, un idéal. Et devant mes yeux jaloux et admiratifs ont défilé tous mes désirs. Des couleurs, des sons, des mouvements, des émotions. Tout ce dont je rêve, elle le vit. D'un coté, je l'admire toujours plus. De l'autre coté, je me sens encore plus écrasée. 

On me dit souvent que je n'ai qu'une vie. Et cette vie, je vais la passer dans ce corps. Fuck.

Je craque. Ce soir, je craque. Encore une fois, je craque. Pourtant, je hurle, je frappe, je pleure. Rien n'y fait. Cette sensation, je la hais. C'est elle qui me fait craquer. Cette sensation de plein. Ce léger gout détestable, qui accompagne l'impression de moisir de l'intérieur. Comme si, dans mon estomac, toute une flore s'installait. Que tout ce que j'avale se dédouble pour me faire enfler continuellement. Pour encore accentuer l'arrondi de mon corps déjà si gros. Comme si, même à jeun, je continuerai à prendre des formes, à gonfler, à accumuler des bourrelets, comme si j'étais condamnée à être affreusement laide éternellement. Je ne sais pas comment stopper ces impressions, comment changer de corps. Pourtant, j'arrive pas à arrêter de manger. Quand je me sens pas bien, je mange. Quand je mange, je ne me sens pas bien. J'en peux plus, je craque. Encore, oui. 

Aujourd'hui, je suis allée pour la première fois cette année à la plage, avec mes amies. Le seul mot que je trouve pour décrire que que j'ai ressenti, c'est "respirer". J'ai pu souffler, retrouver une impression de pure liberté, la sensation de pouvoir tout faire sans que personne ne le voit. Pouvoir courir entre les vagues en hurlant à m'en déchirer les cordes vocales, pouvoir courir jusqu'à ce que mes poumons n'en puissent plus. Tout mon corps était en éveil. Mes oreilles suivaient les douces mélodies insouciantes, mes yeux redécouvraient des couleurs perdues depuis longtemps. Mes pieds s'extasiaient de retrouver les grains si fins d'un sable si doux. Chaque parcelle de ma peau frémissait dans les mouvements d'air frai et parfumé.

Souvent, j'ai eu envie de pleurer tellement c'était bon. Mais les larmes ne venaient pas. Intérieurement, elles se déversaient dans un flot continu alors que mes rires se faisaient presque sincères, c'était magique. J'ai pu m'allonger sur le sable et ne plus penser à rien sinon à ma peau qui se dorait, petit à petit.

Alors je les remercie de tout coeur. Je les aime tellement.

Lauriane, Chloë, Suzanna. Mes porte-bonheurs, mes journaux intimes, mes ours en peluche.